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Chronopolis : film d’animation expérimental de Piotr Kamler

Depuis longtemps, le cinéma d’Europe de l’Est ne cesse d’avoir de l’influence sur le petit monde du septième art. Du rayonnement sur la scène internationale des cinémas tchécoslovaques ou soviétiques aux nombreux exils de réalisateurs de talent, il a su exporter ses compétences. Parmi les grands noms partis à Hollywood, on peut citer les Allemands Fritz Langavec le talent qu’on lui connaît , Friedrich Wilhelm Murnau qui réalisa là-bas en 1927 le sublime L’Aurore ou encore le Hongrois Michael Curtiz – de son vrai nom Manó Kertész Kaminer, réalisateur de Casablanca. Le milieu du cinéma d’animation a lui aussi bénéficié dans une certaine mesure de cet exode. Toujours aux États-Unis, citons encore le cas d’un autre Hongrois, Georges Pal, célèbre pour ses techniques d’animation et autres trucages et réalisateur de La Machine à explorer le temps en 1960. Puis, en Angleterre, mentionnons John Halas encore un Hongrois qui créa le studio Halas et Batchelor avec son épouse en 1940. Enfin, dans notre beau pays, tout le monde connaît Albert Barillé, ou en tout cas son œuvre principale : la série animée Il était une fois… l’Homme et ses suites en 1978. L’illustre et regretté monsieur était d’origine polonaise tout comme l’artiste qui nous intéresse ici : Piotr Kamler et son film majeur ; le moyen-métrage Chronopolis achevé en 1982, au bout de quatre ans de travail.

Piotr Kamler est un grand nom du cinéma d’animation expérimental, au même titre que l’un de ses plus célèbres représentants : le Canadien Norman McLaren. Piotr Kamler est né en 1936 à Varsovie. En 1959, une fois diplômé de l’Académie des beaux-arts de Varsovie, il reçut une bourse pour venir étudier à Paris. Puis, il intégra les services de l’ORTF, au sein desquels il fit la plupart de ses films, essentiellement des courts-métrages en dehors de Chronopolis.

Dès lors qu’il s’agit de cinéma expérimental, il n’est pas aisé de définir l’œuvre d’un cinéaste. Il y a beaucoup à dire, contrairement à ce que pourrait penser certains critiques ou youtubeurs. En effet, cette branche de l’art cinématographique s’intéresse essentiellement à la création pure, cherchant en permanence de nouveaux horizons d’expression visuelle, au-delà des formes conventionnelles. L’intérêt de cette marge expérimentale est que c’est bien souvent elle qui permet de faire évoluer les techniques artistiques. Dans une certaine mesure, Georges Méliès, les frères Lumière ou encore Émile Reynaud, connu pour son célèbre Théâtre optique, sont des expérimentateurs des débuts du cinéma muet. N’oublions pas que ce sont les artistes qui devancent les nouvelles techniques. Sans innovation, pas de progrès. Or, tel est le credo de Piotr Kamler, expérimenter de nouvelles formes d’expression, en jouant sur les matériaux, les formes, la narration, le lien entre musique et animation… Seulement, le cinéma expérimental n’est pas forcément très accessible. Je ne parle pas de films comme Mother de Darren Aronowsky ou de Tetsuo de Tsukamoto Shin’ya qui, malgré une mise en scène éclatée et non conventionnelle, se rattachent néanmoins à des schémas connus. Ces longs-métrages ne sont qu’à demi expérimentaux. Le monde de Piotr Kamler est plus radical, ce qui n’est pas forcément synonyme de qualité, mais ce qui a le mérite d’en faire une œuvre très personnelle, possédant ses propres moyens d’expression et ses obsessions.

Les thèmes les plus chers à Piotr Kamler qu’il développa tout au long de son œuvre sont la représentation du mouvement et du temps. Comme il le dit dans le bonus du DVD de Chronopolis : « L’animation consiste justement dans la création à la fois de mouvement et de temps. » Effectivement, il s’agit même d’une définition première du cinéma : la création du mouvement, ce qui permet de rappeler que cet art est avant tout image et mouvement. On pourrait dire dès lors que le travail de Piotr Kamler est une sorte d’allégorie expérimentale du temps et du mouvement. Par exemple, dans son court-métrage Hiver, il s’exerce à une représentation visuelle de la musique. Voici le descriptif du film : « Impressions plastiques sur le thème de “l’hiver” de Vivaldi : tempêtes de neige, danses des lunes, pulsation de glaçons, scintillements de cristaux argentés, bois gelés pétrifiés. » La représentation de la musique par de l’animation ne manquera pas de rappeler un titre bien connu de Walt Disney : Fantasia.

Le résultat est une poésie de scintillement esthétisante, presque envoûtante ; le cinéma expérimental sait se faire contemplation. Ainsi, la plupart des films de Piotr Kamler ne s’attachent pas à mettre en scène des scénarios conventionnels, mais plutôt la création en mouvements animés de concepts, d’idées, voire de l’indicible. C’est, à mes yeux, le plus grand intérêt de cette école cinématographique, c’est-à-dire celui d’élargir nos horizons. Beaucoup de films reposent sur une narration classique avec ses étapes bien rodées, ce qui nous habitue quelque part à être désensibilisés à d’autres formes d’expression plus originales. L’atout du cinéma expérimental est qu’il aura souvent une approche radicalement différente, à tel point qu’il pourrait rebuter. Or, la multiplication d’œuvres par trop conventionnelles appauvrit le monde en même temps qu’elle crée, c’est vrai, une forme d’universalité. Si nous avons tous les mêmes codes, nous nous comprenons mieux, mais c’est au détriment d’une richesse et d’une diversité intellectuelles, même philosophiques. En effet, le rapport que l’on aura à un film sera le même que celui que l’on aura avec le monde. Or, si le monde est représenté de manière différente, cela ne nous encouragera-t-il pas à le penser différemment ?

Plus nous connaîtrons des formes d’expression riches et variées, plus notre conception du monde changera et s’enrichira de nouvelles considérations auxquelles nous n’aurions jamais pensé avant. L’originalité peut parfois désarçonner, mais elle finit toujours par être digérée d’une façon ou d’une autre. On peut ne pas aimer ou apprécier La montagne sacrée d’Alejandro Jodorowsky, mais il a le mérite d’avoir une narration différente et un propos sans fard qui interpelle directement le spectateur, il a cette honnêteté. De même que le travail de Peter Watkins dont les films sont en fait un prétexte pour interroger au sein même de ses œuvres leur propre processus de fabrication. Il travaille essentiellement sur la question des médias. Ainsi, dans Privilège de 1966, il décrypte la création d’une créature médiatique de la chanson, qui sera manipulée par le pouvoir en place afin d’anesthésier les revendications de la populace. Celle-ci ira jusqu’à singer son idole, donc à être contrôlée par son intermédiaire. J’évoquais plus haut Tetsuo de Tsukamoto Shin’ya. Ce film expérimental et cyberpunk de 1989 est pour un public classique difficile à regarder. Pourquoi ? Parce qu’il est japonais ? Non. Il est vrai qu’une connaissance du cinéma japonais ou de la culture de ce pays peut aider et que, le cas échéant, peut être un frein. Pourtant, ce n’est pas la difficulté majeure. Simplement, le film est torturé. Le cinéma expérimental mise beaucoup sur le sensitif. Tetsuo, même sans connaître la culture dont il est issu, fera mouche, marquera, voire choquera. Le but du film est la représentation d’un mal-être extrême par une mise en scène frénétique et agressive. Peu importe dès lors les moyens, la langue ou même le sujet, le cinéma devient tout simplement transcendance, mouvement universel. Je vous garantis que, sans connaître bien le sujet derrière Tetsuo, vous le retiendrez, ceci suffit à démontrer à mes yeux la force du film. Ici, dans ce domaine du cinéma expérimental, le sacro-saint goût n’a plus lieu d’être. Seul compte l’effet produit, la nouvelle forme d’expression rencontrée, car aimée ou honnie, elle vous suivra et viendra agrandir votre conception du monde.

La force du cinéma expérimental est le ressenti. Essayer de rechercher une cohérence intellectuelle n’est pas vraiment pertinent, car le rapport du public à l’œuvre est ici plus fort que jamais. Mais qui dit nouvelle forme d’expression peut aussi signifier incompréhension ou ennui…

Dans le premier cas, c’est très bien. Puisque cela forcera le spectateur à s’interroger, remettant en cause ses mécanismes de pensée, et à reconsidérer l’œuvre sous un autre angle, même si c’est des années plus tard. Quant à l’ennui, ma foi, autant en faire le sujet des films proprement dit.

C’est justement l’une des obsessions de Piotr Kamler, non le temps en tant que concept philosophique (encore que), mais plutôt sa représentation par le mouvement. Par conséquent, il est logique de rencontrer ce sujet au cœur de ses films. Ainsi, dans les courts-métrages L’Araignéléphant et La planète verte, Piotr Kamler décrit des êtres dont la seule activité semble être d’occuper leur temps. Au moyen d’une voix off, ces films sont racontés sous la forme de fable absurde science-fictionnesque. Les créatures, qui peuplent ces films, semblent « meubler » leur temps jusqu’à atteindre un seuil « d’absurdie » que n’aurait pas renié l’auteur polonais de Solaris, Stanislas Lem. Par exemple, dans La planète verte, voici quelques-unes des occupations des habitants (les Actuphages) : fabriquer du temps à perdre, du temps qui ne passe pas, du temps à gagner, du temps mort… À bien y regarder, on pourrait y voir une allégorie de l’humanité qui cherche toujours à s’occuper.


Quand on semble obsédé à vouloir représenter le temps, imaginer des êtres éternels qui passeraient leur temps à le « passer » justement est une idée géniale. Si on considère le temps comme une boucle, il y a nécessairement des moments qui se répéteront. Or quand on fait de l’expérimental c’est pratique, puisqu’on peut ainsi tenter diverses techniques d’animation en volumes, les répéter encore et encore, chercher de nouveaux effets. De plus, le temps est aussi un mouvement, l’animation est un mouvement alors, l’un dans l’autre, représenter le temps par l’art du mouvement, à savoir l’animation, n’est-ce pas dans une certaine mesure atteindre l’absolu de la vie ? Seuls les immortels bénéficient de l’éternité, mais n’est-ce pas plutôt un mirage ?

Justement, voici ce que dit le synopsis de Chronopolis :

« Le film raconte la fable de Chronopolis, immense cité dans l’espace. Ses habitants ont pour seule occupation et pour seul plaisir de fabriquer du temps. Ainsi créent-ils des instants de toute sorte avec lesquels ils se livrent à des jeux énigmatiques. Malgré la monotonie de l’immortalité, ils vivent dans l’attente : un évènement important doit survenir lors de la rencontre d’un instant particulier et d’un être humain. Or, grâce à la mise en œuvre de procédés mystérieux, cet instant va naître sous la forme d’une boule blanche. »

Le propos de Chronopolis prend ainsi la forme d’une fable, d’un mythe doublé d’une prophétie. La ville de Chronopolis ainsi que ses habitants ont une inspiration d’ailleurs rétrofuturiste à la Metropolis de Fritz Lang, croisée avec l’Égypte antique. En effet, ces êtres, que l’on peut appeler des dieux, présentent une ressemblance marquée avec les pharaons ou les divinités égyptiennes. Le lien peut même se retrouver dans le titre, croisement entre le dieu grec Chronos et la cité égyptienne de Héliopolis.


La première partie consiste à montrer ces immortels fabriquer du temps. On pourrait dire qu’ils n’ont pas vraiment conscience du temps qui s’écoule puisqu’ils en ont à profusion. D’une certaine façon, ils sont plus proches de dieux machines que de dieux vivants, car ils ne connaissent qu’une chose : cet « évènement important » et ne savent faire qu’une chose : fabriquer du temps à l’infini, ou tout du moins cherchent-ils à fabriquer cet « instant particulier ». On est donc proche d’ordinateurs auxquels on a injecté un programme monotâche… Piotr Kamler va donc s’atteler à la représentation de cette fabrication du temps par ces êtres hiératiques et figés. Pour cela, il va travailler les formes, leur évolution, la répétition d’un même mouvement, des caméras rotatives… Par exemple, il utilise une séquence ne montrant que des portes qui s’ouvrent, suggérant que le temps qui s’écoule ne fait que entrer et sortir du monde.

Les immortels cherchent à fabriquer le temps, et pour cela ils travaillent la matière inerte afin de lui donner la vie par le mouvement. Si le mouvement est vie, alors mouvoir une matière inerte c’est la rendre vivante. Ces êtres, pourtant dotés de la vie éternelle, ne semblent pas savoir comment la transmettre, ils se consacrent donc à l’expérimentation.

C’est ce que le synopsis nomme « moments énigmatiques ». Ces divinités de pellicule tentent de créer du temps et se répètent à l’infini. Tel Sisyphe poussant sa pierre au sommet d’une montagne avant que celle-ci ne retombe et le condamne à recommencer éternellement. Cette répétition et ce temps maintes fois écoulé sont magnifiquement mis en scène d’une manière très simple. Au moyen de nombreux fondus enchaînés, de surimpressions et de caméras rotatives et géométriques. Le principe du fondu enchaîné est une image qui apparaît au sein d’une image, celle-ci « s’accouchant » elle-même, n’est-ce pas une belle métaphore biologique et cinématographique de l’écoulement du temps ?

Pareillement, un mécanisme qui tourne sans cesse sur lui-même, n’offre-t-il pas un terrain d’expérimentation de la matière ainsi qu’un mouvement continu, à l’égal d’une toupie qui se perpétue elle-même jusqu’à l’arrêt total marquant la fin de son évolution ?

Notre respiration n’engendre-t-elle pas un nouveau moment de vie, puis un autre et ainsi de suite jusqu’à la fin qui est un nouveau commencement ? La caméra se fait le témoin de cette vie en suivant des pipelines qui relient entre elles différentes machines nécessaires à la fabrication du temps. Véritables cordons ombilicaux mécaniques qui témoignent d’une organisation géométrique du temps.

D’ailleurs, la technique utilisée correspond parfaitement à l’esprit du film et à sa démarche expérimentale. Piotr Kamler utilise la stop-motion tout seul dans son atelier , qui permet de mettre au point de nouvelles techniques et surtout de fabriquer lui-même ses images. Or, si le film développe une civilisation qui semble s’auto-accoucher, n’est-il pas logique ou, dirons-nous, bio-logique que la stop-motion, l’animation en volume, soit la technique qui accouche de ce film, la mère créatrice de toute technique ? L’animation par ordinateur ne collerait pas avec l’esprit de Chronopolis, car l’appareil, aussi précis soit-il, ne serait qu’imitation de la vie, reproduisant par mimétisme ce qu’il voit ou plutôt ce qu’on lui a appris par l’intermédiaire d’un programme. Alors que la stop-motion utilise des matériaux et crée une vie authentique. Peut-être peut-on même y voir une critique de l’artificialité de la machine courant à sa propre perte par rapport au vivant ? En effet, ces êtres immortels, comme je l’ai dit plus haut, s’apparentent davantage à des robots qu’à des êtres vivants. Ils ne semblent pas disposés d’intelligence pour comprendre que le moment ultime qu’ils attendent et qu’ils s’échinent à créer, cet « évènement important qui doit survenir lors de la rencontre d’un instant particulier et d’un être humain » sera celui de leur fin. Tels les dieux de pacotille des Métamorphoses d’Ovide qui ne pouvaient aller contre le destin malgré leur éternité et leurs pouvoirs, ils ne semblent pas vraiment avoir d’impact sur leur propre réalité présente, seulement sur leur chute. Une civilisation qui travaille à sa fin, n’est-ce pas la belle ironie en même temps que victoire du temps qui, lui, ne s’arrête jamais ?

Ces dieux finissent par créer cet « instant » matérialisé par une boule blanche dotée de vie. De la rencontre de ce « fragment de temps » et d’un être humain, naîtra le glas des dieux mécaniques.

La seconde partie du film s’ouvre sur une cordée d’alpinistes escaladant une falaise infinie pour parvenir à son sommet.


Une allégorie de la tour de Babel que créèrent les hommes pour s’approcher de Dieu ? Ces derniers désirent-ils atteindre la légendaire cité de Chronopolis, celle de l’éternité ? Un des alpinistes finit par tomber, il flottera dans l’espace jusqu’à atteindre la cité-mirage. Au moyen des pipelines cités plus haut – véritables chemins de vie –, la boule blanche et l’homme se déplaceront à leur rencontre. De celle-ci naîtra une profonde complicité sous la forme d’une danse frénétique de parade nuptiale.

L’être vivant a-t-il trouvé la réponse à ses questions en découvrant ce fragment de temps ? Lui manquait-il cette notion de temps et donc de mortalité pour enfin prendre goût à la vie ? En effet, il semble enfin vivre et s’amuser, alors que l’escalade montrait des hommes répétant le même geste inlassablement comme des ouvriers des Temps modernes de Charlie Chaplin. Ces dieux ne sont-ils pas une part de nous-mêmes ? Ils ont fatalement travaillé à leur propre destruction sans réfléchir, comme une civilisation s’acharnant toujours plus vers le progrès et la machine, qui fonce à toute allure dans le mur, un sourire béat aux lèvres ?

Que s’est-il passé après cette rencontre ? Tout simplement la fin d’une civilisation, d’un monde et le début d’un autre. Les dieux de Chronopolis, une fois leur mission achevée, s’auto-détruisent et se désagrègent, laissant encore augurer d’un travail intéressant sur la matière.

Le vivant a rencontré le non-vivant et a gagné la bataille. Est-ce une célébration du vivant sur le mécanique ? Le bonheur se trouve-t-il dans cette compréhension du vivant et de sa mortalité ? De cette incessante danse de la vie et la mort ? On serait tenté de le croire car, ces êtres éternels, ou plutôt ces mécaniques figées dans l’éternité, ont travaillé à leur propre perte, docilement, tel que leur disait leur programme. S’agit-il de ne rien attendre du divin et de prendre conscience de son propre libre arbitre ? D’une critique de l’éternité, finalement tellement monotone que l’on en vient à préparer son suicide ? Ou simplement une illustration du temps à travers la succession de civilisations et de mondes ? Ou est-ce moi qui vais trop loin ? Tel est en tout cas l’intérêt du cinéma expérimental, celui d’être un vaste champ de création artistique et intellectuelle.

Au final, quelle que soit l’interprétation, je pense qu’il s’agit néanmoins d’une victoire du temps et de sa célébration. La fin d’un monde signifie le début d’un autre. C’est tout simplement le temps résumé, qui se perpétue lui-même, il se finit en même temps qu’il commence. Les fondus enchaînés appuient cette théorie, et la fin de Chronopolis va encore plus loin dans ce sens. Chronopolis est vraiment une métaphore cinématographique du temps sous les traits de mondes qui s’enfantent pour que cela soit plus accessible à l’humanité. En un sens, il n’est pas très loin de Chronos et des autres films philosophiques, Baraka et Samsara, de Ron Fricke, lui aussi, illustre représentant du cinéma expérimental et documentaire. D’une idée, Piotr Kamler a fait un film qui se veut être en miroir une formidable mise en abyme de son sujet. Le fil de la vie allait lui aussi loin dans la mise en abyme de ses personnages et de ses thèmes. Il partage d’ailleurs le thème du mimétisme avec Chronopolis.

Toujours est-il que chacun sera seul juge. Mais Chronopolis, en bon représentant du cinéma expérimental, offre mine de rien un riche terrain de réflexion et de modes de pensée nouveaux par son originalité. Son existence, ainsi que celles des obscures œuvres de ce courant trop souvent ignorées, voire méprisées, est un poumon d’inventivité où la seule loi reste la création, une notion qui semble disparaître aussi vite que l’ordinateur se répand. Je considère donc que parler de Chronopolis – même à mon niveau – est une marque de respect envers l’art et presque une mission afin de faire connaître un film ancien qui n’est pas souvent mis sous le feu des projecteurs. Il est important à mes yeux, car il s’affranchit des codes et choisit la difficulté, prenant le risque de se mettre le public à dos : le choix des artistes. Comme je l’ai dit, chacun sera seul juge. Cependant, cher public, même si tu ne comprends pas le film, ne le rejette pas tout de suite. Apprends à le connaître, pousse tes réflexions, laisse-les mûrir, revois le film dans quelque temps, documente-toi, demande-toi pourquoi la majorité des films épousent la monoforme chère à Peter Watkins ? Car ainsi, le public sera formaté et particulièrement réceptif à une seule forme de communication. N’oublie pas, cher public, que les producteurs et les médias ne te veulent pas toujours du bien, qu’à l’image d’une foule en adoration devant une idole dans Privilège hurlant comme un seul homme « We will conform », tu deviens la cible d’êtres qui veulent formater ta pensée. Plus elle le sera, plus voir ce genre de film sera difficile, mais pas insurmontable.

C’est pourquoi je considère que parler de Chronopolis est une mission. Montrer qu’il existe d’autres formes d’expression qui bousculent par leur incompréhension et remettent en cause les dogmes établis, car elles forcent simplement à se poser des questions, elles poussent à la catharsis. Un humain seul peut créer à lui tout seul plus d’originalité que toutes les émissions télévisuelles et les grands studios du monde. N’oublie pas, cher lecteur, que l’œuvre ne fait que 50 % du travail, le reste c’est à toi de le faire.
Je finirai en invoquant Alejandro Jodorowsky dans La montagne sacrée : « Ce n’est pas la peur de tomber qui te retient, mais celle de grimper. »


Et rappelez-vous : tempus fugit.


Vous en avez désormais l’habitude, la célèbre rubrique “Pour aller plus loin” propose aux curieux d’explorer davantage le monde culturel en lien avec les articles 🙂

Le cinéma expérimental : il est difficile d’indiquer où aller dans la mesure où dans chaque pays des fourmis travailleuses ouvragent dans l’ombre des grands studios pour la gloire de leur art. En cherchant un peu, on découvre que le monde du cinéma d’animation regorge de nombreux courts-métrages expérimentaux, que ce soit en Angleterre, aux Etats-Unis, au Japon, en Afrique, en Europe de l’Est, en France… Voici malgré tout quelques sélections :

-Le travail du Canadien Norman McLaren, véritable vedette du cinéma expérimental
-Le travail du Tchèque Jan Svankmajer, dont le travail mondialement célèbre a eu une influence sur Tim Burton et les frères Quay.
-Le travail du Russe Youri Norstein (Юрий Борисович Норштейн) : plus poétique qu’expérimental, mais c’est l’occasion d’aborder ce genre d’une façon différente et de regarder son magnifique Le Conte des contes.
L’Ange, film expérimental de 1984 du Français Patrick Bokanowski
-Le travail de l’Estonien Priit Pärn


Les êtres qui s’ennuient car victimes d’une forme d’immortalité :

La Planète sauvage : film d’animation du français René Laloux de 1973, plus ou moins expérimental d’ailleurs 🙂
-Le cycle de livres de SF Le Fleuve de l’éternité de Philip José Farmer

Enfin pour une critique des médias formatés au point d’en devenir vacuité, le livre Media Crisis de l’incontournable Peter Watkins, en plus de son travail cinématographique évidemment.

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